Une bonne soirée dans le ghetto avec Kamaiyah

Une bonne soirée dans le ghetto avec Kamaiyah

 

Si vous écoutez du rap américain avec intérêt en 2016, vous avez forcément à l'heure qu'il est déjà écouté poncé Still Brazy, le second album studio de YG sorti le mois dernier. Au milieu de celui-là figure un morceau avec Drake, qui fait suite à leur première collaboration sur My Krazy Life, et il y a fort à parier que vous vous êtes demandé qui était ce jeune Kamaiyah qui fait le job au refrain. Alors déjà pas d'bol, c'est en fait une meuf. Mais surtout, vous n'étiez sans doute pas au courant que cette jeune MC de 21 ans sortait en mars dernier un premier projet absolument parfait pour faire la fête tout l'été. Doc Gynéco a son Première Consultation ? Très bien, Kamaiyah a son A Good Night in the Ghetto.   

"How much I drunk last night? Shit, I can't recall
Just know a stripper made a tip like a banker would
I just drunk all night, fucked up all night
So tell me what the fuck these bitches hatin' for"

  

A la différence de YG, Kamaiyah est originaire d'Oakland dans le nord de la Californie, et ça s'entend dès les premières notes avec ces caisses claires et ces basses si caractéristiques du rap de la Bay Area. Sur un son dépouillé mais riche d'une multitude de détails, Kamaiyah laisse couler son flow chantant et sa voix semi-nasillarde pour un résultat qui fait mouche sur chacun des 13 morceaux du projet, réussissant le tour de force de proposer une ambiance différente à chaque fois, fortement imprégnées par des sonorités type '90s (dans ses clips également, brick phone et N64 à l'appui).

Les thèmes ne font pas forcément dans l'originalité (son statut de fille du hood devenue une star locale maintenant à l'aise financièrement dans "I'm On", "How Does It Feel?" ou "Mo Money Mo Problems", la fête et l'hédonisme dans "Out The Bottle", "Ain't Going Home Tonight" ou "Freaky Freaks", mais aussi des moments plus introspectifs qui offrent quelques instants de respiration sans tomber dans l'ennui, comme sur "Break You Down", "Come Back" et surtout la poignante outro piano/synthé "For My Dawg"), mais le talent de Kamaiyah crève les yeux, parfaitement servie par divers beatmakers locaux (alors là à la base j'voulais écrire "producteurs locaux", mais vu qu'il n'est pas du tout question de légumes bios j'me suis dit que ça l'faisait moyen).

 

 

Comme chez tous les artistes venant de la Bay, une grosse influence des rappeurs de la scène hyphy se fait sentir. Celle de tonton E-40 évidemment, pour l'ambiance "slap music", mais aussi celle de J. Stalin, légende locale qui, comme elle, sait parfaitement moduler sa voix pour mêler rap et chant avec virtuosité, imaginant des mélodies qui ont cette tendance à rester en tête. Mais les similitudes ne s'arrêtent pas là, car le côté introspectif est aussi une des qualités majeures de Stalin, qui fait partie des meilleurs chanteurs "d'emo gangsta rap" encore en vie (RIP The Jacka). "Come Back", avec ses voix pitchées en fond sonore, aurait été l'occasion parfaite d'entendre ces deux artistes sur un même morceau, et aurait pu offrir au passage un angle relativement inédit dans le rap nord-californien sur les relations hommes-femmes.

Mais ne vous laissez pas tromper par ces dernières lignes, car Kamaiyah fait de la feel good music avant tout, et ce projet plein de bonnes vibes est la BO parfaite pour vos barbecues estivaux. Elle sait indéniablement faire sourire, marrer, danser, chanter les gens, peu importe la sensibilité musicale de ceux-ci (des refrains comme ceux de "Swing My Way", "Freaky Freaks" ou du parfait banger "Fuck It Up" avec YG, sont d'une efficacité redoutable, vous êtes prévenus). En ce sens, elle est la parfaite incarnation West Coast de Missy Elliott, qu'elle a d'ailleurs reconnu avoir beaucoup écouté dans sa pré-adolescence.

 

 

Signée depuis en catimini chez Interscope, Kamaiyah est promise a un bel avenir. Mais le plus dur reste à faire car tout le monde sait à quel point il est difficile de confirmer après un premier effort d'aussi haut calibre. Elle a néanmoins "l'avantage" d'être encore assez confidentielle même outre-Atlantique, et peut donc aborder l'enregistrement de son prochain projet sereinement (à l'heure où cet article est publié, sa page Facebook n’a pas encore dépassé la barre des 5000 j'aime, donc au moins personne ne pourra vous accuser de sauter dans le bandwagon). Heureusement, son unique morceau sorti depuis ce projet, porté par une production sirupeuse de Cardo qui est plus que jamais en forme en 2016, a de quoi rassurer.

Florian Gilleron,